François, le Pape des équilibres instables : entre ferveur pastorale et gouvernance centralisée (2013-2025)

 François, le Pape des équilibres instables : entre ferveur pastorale et gouvernance centralisée (2013-2025)



Chapeau : Premier pape latino-américain et jésuite élu en 2013, François aura marqué l’Église par son langage simple, son goût du dialogue, et une volonté réelle de réforme. Mais son pontificat, s’il a suscité l’espérance, a aussi semé doutes et divisions. Gouvernance verticale, propos ambigus, attitude jugée parfois naïve face à certaines questions contemporaines comme celle des migrants : l’homme de la tendresse a aussi manié l’acier.


Un jésuite à la tête de l’Église

Né Jorge Mario Bergoglio le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, le futur pape est issu d’une famille d’immigrés italiens. Il entre dans la Compagnie de Jésus en 1958, est ordonné prêtre en 1969, puis devient archevêque de Buenos Aires en 1998. Célèbre pour son style de vie sobre et proche des pauvres, il est créé cardinal en 2001. Son élection au Siège de Pierre en 2013 fait date : il choisit le nom de François, et entend renouveler l’Église par la "miséricorde" et la "synodalité".

Encycliques et lignes de force

Son magistère s’articule autour de grandes encycliques : Laudato si’ (2015) défend l’écologie intégrale ; Fratelli tutti (2020) plaide pour une fraternité universelle. Il publie aussi Amoris Laetitia, ouvrant un débat sur la pastorale des divorcés-remariés. Par ses textes, François favorise un catholicisme de terrain, plus inclusif, moins rigide. Mais sa manière de laisser ouvertes certaines questions divise les fidèles.

Il a aussi rédigé une lettre importante sur la liturgie, Desiderio Desideravi (2022), où il plaide pour une compréhension théologique plus profonde de la messe et dénonce une vision réduite à des goûts personnels ou esthétiques. Cette lettre réaffirme l'unité liturgique autour du missel de Paul VI, tout en déplorant les fractures dans le peuple de Dieu.

Enfin, sa dévotion au Sacré-Cœur s’est exprimée dans l’encyclique Dilexit Nos (2024), où il fait le lien entre la miséricorde divine et l'amour réparateur. Cette spiritualité, très marquée par la France (Marguerite-Marie Alacoque, Paray-le-Monial), rejoint l'influence persistante de la mystique française dans le pontificat de François : Charles de Foucauld, Thérèse de Lisieux, Madeleine Delbrêl et même Marthe Robin figurent parmi les figures qu'il cite ou vénère.

Un gouvernement personnel et stratégique

Si François promeut la collégialité, il gouverne d’une main ferme : restrictions sur la messe traditionnelle (Traditionis custodes), nominations cardinalices ciblées, écart de figures conservatrices comme les cardinaux Raymond Burke, Gerhard Ludwig Müller, Robert Sarah ou encore Angelo Becciu. Le pape jésuite gouverne en stratège : il consulte, mais décide seul. Son style tranche avec l’image d’ouverture affichée, et nombre de catholiques y voient une contradiction.

Migrants : compassion, prophétie... ou candeur ?

François a élevé la question migratoire au rang de thème spirituel majeur. Il a été jusqu’à dire que l’accueil inconditionnel est une obligation morale, au nom de l’Évangile. Ses voyages à Lampedusa ou Lesbos, ses discours sur les "murs" qu’il faut abattre, ont ému... mais aussi inquiété. Certains y voient une naïveté géopolitique : un oubli des enjeux culturels, sécuritaires, identitaires.

D’autres, au contraire, décryptent une prophétie chrétienne, fondée sur la primauté de la personne humaine, contre les logiques utilitaristes ou nationalistes. Dépendait-il de ce qu’il voulait dire ? Sans doute. Mais il n’a pas toujours su clarifier son propos.

Islam et diplomatie : ouverture, silence et calcul

Le pape François a posé des gestes très forts envers l’islam, comme la signature du Document d’Abou Dhabi en 2019 avec l’imam Al-Tayyeb, affirmant que "Dieu veut la pluralité des religions". Il s’est rendu en Irak, au Maroc, en Turquie, au Bahreïn, prêchant le dialogue et la paix. Mais certains catholiques ont déploré un silence régulier sur les persécutions subies par les chrétiens dans les pays musulmans, et un affaiblissement de l’annonce explicite de la foi.

Une relation ambivalente avec la France

Pays de culture catholique, mais aussi de réflexion critique, la France a entretenu un rapport tendu avec le pape François. Il n’a jamais répondu favorablement aux demandes de visite à Paris, et a préféré participer à un colloque sur la piété populaire en Corse au moment de la réouverture de Notre-Dame. Les relations avec l’épiscopat français ont parfois été fraîches, et le Siège de Paris est resté longtemps sans titulaire. À ses yeux, la France semblait incarner une Église vieillissante, plus théorique que missionnaire.

Une passion pour les saints, et une canonisation manquée

Sous son pontificat, François a canonisé de nombreuses figures populaires ou prophétiques, comme Jean XXIII, Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Oscar Romero ou encore Thérèse de Calcutta. Il a cherché à mettre en avant des modèles de sainteté accessibles, ancrés dans le quotidien et l'engagement social.

L’un de ses derniers actes fut de confirmer la prochaine canonisation de Carlo Acutis, adolescent italien passionné d’Eucharistie et d’informatique. Mais François, décédé avant la cérémonie prévue le dimanche 27 avril 2025, ne pourra pas le canoniser lui-même. Un regret pour beaucoup, tant il appréciait cette figure jeune et lumineuse, que certains surnomment déjà le "petit frère digital" du pape.

François ou le paradoxe vivant

Pasteur de la tendresse, gouverneur de fer. Théologien de la rencontre, stratège intransigeant. Le pontificat de François a été une saison d’ouvertures audacieuses, mais aussi de crispations. Il laisse une Église transformée, plus pauvre, plus engagée... mais plus divisée aussi.

L’avenir dira si ses intuitions étaient géniales ou fragiles. En attendant, le conclave qui suit sa mort s’annonce décisif : poursuivra-t-on sa ligne, ou tournera-t-on la page ?

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