Évangile : Rome ou rien !

 

Évangile : Rome ou rien !






Du haut des sept collines de la Cité éternelle, une voix retentit : « Rome ou rien ! » Le temps a sonné des fléaux et des prodiges, et la Croix triomphe uniquement là où saintement siège le successeur de Pierre. « Sine Roma nihil », murmurent en chœur les pierres séculaires du temple de la vérité. Les églises désertées et les âmes égarées nous clament la leçon claire : sans la charpente séculaire de Rome, le chrétien s’abîme dans l’erreur et la fureur.

Voyez donc l’Allemagne, fille délaissée, née des fonts baptismaux de Luther ! Elle porte en son sein une foi mutilée, amputée de l’architecture de l’Occident. Sur les quais sombres du Rhin déferle un torrent de doctrines glacées : Kant, Hegel, Nietzsche et autres prophètes de la raison froide ont fait de l’esprit allemand un mécanisme sans âme. Ils ont dressé des palais de Verstand où l’Esprit-Saint ne pénètre point. La géhenne moderne y brûle jour et nuit ; le peuple, vidé de sa foi, a sombré dans la folie politique, échangeant la croix pour l’épée. C’est là le sort d’un christianisme qui s’est déraciné de Rome : d’abord rationalisé, puis corrompu par des démons partisans, il n’a gardé que le masque d’une croyance vidée de sa substance.

Pourtant l’Amérique latine nous tend la main, continent de maïs et de vignes, écho fidèle de Rome sous les tropiques. Dans l’ombre lumineuse de leurs palais hispaniques, à Mexico comme à Lima, ont fleuri des cathédrales pareilles à des fleurs de lumière. Le latin chanté aux autels se mêle aux langues indiennes, et l’enseigne de l’empire a tracé leurs villes sur la géométrie romaine. Les codex sauvages ont fait place au Livre des Écritures et aux lois de Justinien : le limes de l’ancien monde s’est étendu jusque dans la foison des Andes. Les toges des jurisconsultes couvrent leurs lois, l’arcade du temple romain prend racine sur les cités incas. La Vierge métisse de Guadalupe, drapée de soleil, se dresse en étendard : elle lie désormais à jamais les âmes indiennes et espagnoles dans la foi romaine. Ainsi la civilisation latine, nourrit du Verbe et du droit de Rome, a pu porter l’Évangile jusqu’aux rives de l’Atlantique et y faire germer l’espérance.

Plus loin à l’Est, l’Asie éternelle éveille la pitié du Ciel. Ses peuples millénaires connaissent des principes anciens, mais jamais ne reçurent l’anneau de Rome à leur doigt. Leurs textes sacrés, leurs empires insondables, se révèlent incapables d’inspirer le vertige mystique du Christ. En Chine comme en Inde, les missionnaires ont frémi en cherchant un royaume, n’y trouvant qu’un ersatz d’empire, grandiose et vain. La sagesse confucéenne est demeurée aux portes de l’Évangile, et l’Évangile, faute de colonne vertébrale civilisationnelle, y est demeuré lettre morte. Là-bas, privé de la solide architecture de la romanité, le message du Christ a glissé dans l’oubli des anciens dieux, victime du vertige païen et du matérialisme.

Et qu’est devenue la garde sainte des confins, ces vaillants jésuites armés de ferveur et d’érudition, derniers remparts de l’Ordre romain ? Le XVIIIᵉ siècle les bannit au loin, brisant la seule armée restée fidèle au Pontife suprême dans les royaumes impies. De Lisbonne à Paris, de Madrid à Naples, les monarques renièrent les lions romains, livrant le monde à la solitude du Siège. L’Amérique autrefois fleurie de missions vit s’éteindre ces précieux architectes : la Rome terrestre fut désarmée, et les bâtisseurs du temple tombèrent sous les coups du siècle. Privés de leur bâton pastoral, les peuples évangélisés vacillèrent ; l’Évangile recula, livré aux barbares nouveaux du temps.

Ô heure grave : quiconque ose refuser le manteau du Collège romain s’expose au chaos absolu. On voit les barbares intérieurs et extérieurs forcer nos limes pacifiés. Les protestations hurlantes, la terreur des mutins, l’athéisme conquérant, tout s’embrase sous le ciel d’Occident. L’Amazonie sans Rome court à l’arraisonnement, et l’Extrême-Orient se consume en adhésion aux faux dieux. Le jour où le dernier empereur de Rome vacillera, « ut ruina mundi », la prophétie chrétienne redira la dévastation des sanctuaires. Sans la crosse de Pierre pour gouverner l’Église et la toge de Cicéron pour forger la cité, l’Évangile se flétrit : la dernière messe chantée dans la pénombre résonnera dans le silence de l’abîme.

Marchez, peuple chrétien, sous l’oriflamme éternel de la Ville sainte ! Ainsi seul subsistera l’Évangile, sauvé des flammes folles de la modernité. Ainsi s’accomplira la parole antique : Angelus Domini nuntiabit pacem hominibus. Amen, sanctus Petrus, porta fidei !

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