Saint Paul VI (29 mai) : en défense d’un « pape progressiste »
Saint Paul VI (29 mai) : en défense d’un « pape progressiste »
Certains, sur un ton un brin acerbe, affublent saint Paul VI de l’étiquette de « pape progressiste », comme si célébrer sa mémoire le 29 mai relevait d’une quelconque audace déplacée. Et pourtant, ce pape du XXè siècle canonisé par l’Église – mérite pleinement qu’on honore sa fête sans rougir. Ce plaidoyer propose donc une défense nuancée et documentée de la célébration liturgique de saint Paul VI, en éclaircissant d’abord le choix de la date du 29 mai, puis en replaçant son pontificat (1963–1978) dans l’histoire mouvementée de l’Église, avant de répondre aux critiques en montrant que le « progressisme » qu’on lui reproche était en réalité ancré dans la tradition et guidé par le souci de l’unité, du dialogue et de la fidélité à l’Évangile. Enfin, un regard vers l’avenir rappellera combien son héritage demeure d’actualité.
Une fête bien datée : pourquoi le 29 mai ?
Il convient d’abord de dissiper toute confusion sur la date de la fête liturgique de saint Paul VI. Depuis 2019, l’Église universelle célèbre ce saint pape le 29 mai, date hautement symbolique correspondant à l’anniversaire de son ordination sacerdotale en 1920fr.zenit.org. Traditionnellement, la fête d’un saint coïncide avec la date de sa mort (considérée comme sa « naissance au ciel »). Or Paul VI est décédé le 6 août 1978, jour où l’Église fête déjà la Transfiguration du Seigneurfr.zenit.org. Pour éviter la concurrence liturgique avec cette solennité établie de longue date, une autre date significative a été retenue. C’est ainsi que le pape François, « considérant la sainteté de vie de [Paul VI] attestée dans ses œuvres et ses paroles », a décidé d’inscrire sa mémoire le 29 mai au Calendrier romain généralfr.zenit.org. Initialement fêté localement le 26 septembre (date de naissance de Montini), Paul VI est désormais célébré le 29 mai par l’Église du monde entierfr.zenit.org. Ce choix allie donc le respect des usages liturgiques et la mise en valeur d’un jalon essentiel de sa vie (son ordination), tout en rappelant en filigrane l’un des traits de ce pontife : son attachement profond au sacerdoce et au service de l’Église.
Un pontificat historique et mouvementé (1963–1978)
Élu pape le 21 juin 1963 en plein Concile Vatican II, Paul VI (Giovanni Battista Montini de son nom de baptême) a dû d’emblée endosser la lourde tâche de poursuivre et conclure le Concile œcuménique entamé par son prédécesseur bien-aimé. Avec un sens aigu de la continuité, il mène à son achèvement le Concile Vatican II en 1965, promulguant ses textes et engageant l’Église dans la mise en œuvre de ses nombreuses réformesen.wikipedia.org. Cette période était tout sauf tranquille : la société et l’Église vivaient de profonds bouleversements (essor de la sécularisation, contestations de 1968, etc.), si bien que le pontificat de Paul VI fut marqué par des tensions internes et des défis inédits. Un observateur a pu écrire que la fin de la vie de Paul VI ressemblait à un « douloureux calvaire », le pape tenant la barre d’une Église secouée par les tempêtes du monde extérieur autant que par les tourments d’une contestation interne nourrie de germes d’autodestructionfrance-catholique.fr. Malgré ce contexte agité, Paul VI a fait preuve d’une persévérance tranquille et d’un courage humble pour conduire la Barque de Pierre entre les écueils, dans l’esprit du « pasteur brûlant d’amour pour le Christ, pour l’Église et pour l’humanité » qu’évoquera plus tard le pape Françoisvaticannews.va.
Ce pontificat fut historique à plus d’un titre. Paul VI sut allier héritage de la tradition et innovations pastorales. Par exemple, il fut le premier pape à sortir largement d’Italie : dès 1964, il s’envole pour la Terre sainte – du jamais vu pour un pontife depuis des siècles – lançant ainsi l’ère des voyages apostoliques internationauxvaticannews.va. Il se rendra notamment à l’ONU en 1965 en clamant « Jamais plus la guerre ! », et multipliera les visites pastorales sur les cinq continents, posant des gestes prophétiques d’ouverture. Sur le plan liturgique, Paul VI a appliqué la réforme voulue par Vatican II en promulguant en 1969 un nouveau Missel romain en langue latine ou vernaculaire, pour une participation plus active des fidèles. Il veilla en même temps à ce que les cérémonies papales gagnent en simplicité et authenticité, délaissant certains ornements triomphalistes d’autrefoisvaticannews.va – on se souvient qu’il renonça au port de la tiare, symboliquement offerte aux pauvres, geste fort d’humilité.
Par ailleurs, l’unité de l’Église et la guérison des divisions chrétiennes furent au cœur de ses préoccupations. Paul VI engagea des rapprochements œcuméniques historiques : en 1964, il étreint fraternellement le patriarche orthodoxe Athénagoras Ier à Jérusalem, puis en 1965 il leva avec lui les excommunications multiséculaires de 1054 – un acte sans précédent depuis des siècles. Il rencontrera également l’archevêque de Canterbury et d’autres responsables protestants, posant les bases d’un dialogue qui portera de beaux fruitsen.wikipedia.org. Ce pape du dialogue n’oublia pas non plus le dialogue interreligieux naissant, rencontrant par exemple des dignitaires du monde entier. Sur le plan interne, il chercha à maintenir l’unité catholique dans la tempête post-conciliaire : il institua le Synode des évêques pour associer la hiérarchie mondiale au gouvernement de l’Église, et tenta jusqu’au bout de rallier les courants dissidents (y compris les plus traditionalistes, comme en témoigne sa rencontre de 1976 avec Mgr Lefebvre).
Enfin, Paul VI a porté haut la voix de l’Église en faveur de la justice sociale et de la vie humaine. Son encyclique Populorum Progressio (1967) sur le développement des peuples lui valut le surnom de « pape des droits de l’homme », tant il y plaidait pour la solidarité envers les pays pauvres, dans la droite ligne de la doctrine sociale catholique. Et si d’aucuns le disent « progressiste » sur le plan doctrinal, on oublie qu’il a aussi fait preuve d’une ferme fidélité à la morale traditionnelle : en 1968, au cœur de la révolution sexuelle, il publie l’encyclique Humanae vitae, courageuse et impopulaire, qui réaffirme l’enseignement constant de l’Église sur le respect de la vie et le refus de la contraception artificiellecatholicnewsagency.com. Ce choix, très critiqué à l’époque par les esprits les plus « modernes », montre bien que Paul VI n’était pas guidé par une idéologie progressiste, mais par la fidélité à l’Évangile – quitte à aller à contre-courant des modes du moment. C’est d’ailleurs un trait frappant de ce pontificat : Paul VI fut attaqué sur sa gauche et sur sa droite, taxé de frilosité par les uns et de témérité par les autres, signe qu’il s’efforçait de suivre une voie évangélique médiane, celle d’une tradition vivante et d’un renouveau prudent, au service de l’unité de l’Église universelle.
Un « progressisme » enraciné dans la tradition de l’Église
Vient alors la question : en quel sens Paul VI peut-il être qualifié de « pape progressiste », et ce qualificatif mérite-t-il vraiment d’être pris en mauvaise part ? Le terme progressiste appliqué à un pape peut prêter à confusion. S’il s’agit d’insinuer que Paul VI aurait trahi la Tradition bimillénaire, la réalité historique dément une telle caricature. Montini – de son vrai nom – était un homme de tradition profonde, nourri des Pères de l’Église et pétri de spiritualité bénédictine aussi bien que du catholicisme social de son père. Son progressisme, si l’on veut employer ce terme, consistait essentiellement à faire « progresser » l’Église dans sa mission d’annonce de l’Évangile, en l’ouvrant aux moyens et aux langages du monde moderne, sans jamais renier ses racines apostoliques. C’est cet aggiornamento (mise à jour) dans la continuité que Paul VI a voulu impulser, fidèle en cela à l’intention de Jean XXIII et des Pères conciliaires.
En 1964, quelques mois avant de promulguer les premiers décrets de Vatican II, Paul VI publia sa toute première encyclique, Ecclesiam suam, véritable manifeste de son programme spirituel. Il y exposait une vision du renouvellement dans la fidélité qui mérite qu’on s’y arrête. « S’il est permis de parler de réforme, celle-ci ne doit pas s’entendre comme un changement, mais plutôt comme l’affermissement de la fidélité qui garde à l’Église la physionomie donnée par le Christ lui-même et qui […] veut ramener constamment l’Église à sa forme parfaite. Celle-ci […] s’avérera harmonieusement développée selon les lois du progrès nécessaire […] comme [la semence] a conduit l’Église […] jusqu’à sa forme légitime, historique et concrète »vatican.va. Autrement dit, pour Paul VI, toute réforme authentique de l’Église doit être ancrée dans ce que le Christ lui a transmis (Scripture et Tradition), et viser à en déployer l’essence de façon organique, comme un arbre grandit à partir de sa semence. Progresser sans trahir : telle était sa devise implicite. Cette affirmation – qu’on pourrait qualifier de « progressisme traditionnel » – montre combien Paul VI refusait tout aggiornamento qui serait rupture ou fantaisie hors du « dessein primitif » du Christvatican.va. Il mettait en garde contre la double tentation de rétrécir l’Église à son état d’origine (comme si aucun développement n’était légitime), ou au contraire de la réinventer sans cesse au gré d’utopies subjectivesvatican.va. Pour lui, « c’est l’Église telle qu’elle est qu’il nous faut servir et aimer, avec un sens averti de l’histoire et dans une humble recherche de la volonté de Dieu »vatican.va. On le voit, Paul VI était loin de toute frivolité doctrinale : son ardeur à faire bouger certaines pratiques allait de pair avec une loyauté totale envers le dépôt de la foi.
Au-delà des textes, ses actes mêmes témoignent de ce mélange de tradition et d’ouverture. Il a maintenu fermement la doctrine catholique là où elle se retrouvait contestée (sur la morale familiale, le célibat sacerdotal, la foi eucharistique, etc.), tout en cherchant de nouvelles façons de la présenter et de la vivre dans un monde en mutation. Son goût du dialogue en est un exemple parlant. Certains ont pu railler le « pape du dialogue » comme s’il diluait la vérité ; mais Paul VI voyait dans le dialogue une exigence évangélique, un acte de charité et d’humilité à l’imitation de Dieu lui-même. « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole, l’Église se fait message, l’Église se fait conversation »* écrivait-ilvatican.va, rappelant que la Révélation elle-même est un dialogue de Dieu avec l’humanité. Ouvrir des canaux de discussion avec les autres confessions chrétiennes, avec les autres religions, avec les non-croyants mêmes, ce n’était chez lui nul abandon des principes, mais l’application concrète de l’amour du prochain et du mandat missionnaire. Son ardeur œcuménique – inédite pour un pape – n’avait rien d’un relativisme : au contraire, elle était mue par la prière du Christ « que tous soient un » (Jean 17) et par la conviction que la vérité catholique n’a rien à craindre d’une franche rencontre. De même, son ouverture au monde n’était pas naïveté : il savait dénoncer, quand il le fallait, les dérives de la société technocratique ou consumériste, et appelait les chrétiens à être des ferments dans la culture contemporaine (Evangelii nuntiandi, 1975). Là encore, progressiste ou non ? Disons qu’il fut prophétique, plutôt, pressentant les défis à venir et y apportant des réponses enracinées dans la tradition vivante de l’Église.
Quant aux critiques venues des milieux les plus conservateurs – qui voyaient en lui un révolutionnaire de la liturgie ou un pape trop « moderniste » – on peut leur opposer le simple fait que Paul VI est aujourd’hui canonisé et donné en exemple à la piété des fidèles. L’Église ne canonise pas les destructeurs de la foi, mais les saints qui l’ont servie héroïquement. Or le procès en béatification puis canonisation de Paul VI a minutieusement examiné sa vie, ses vertus et son orthodoxie doctrinale. Le verdict est sans appel : Montini a pratiqué à un degré héroïque la foi, l’espérance et la charité, exerçant son rôle pétrinien avec un dévouement total. Lui qui fut parfois incompris ou caricaturé de son vivant est désormais proposé comme modèle. On peut difficilement imaginer plus beau désaveu des accusations de trahison de la Tradition. D’ailleurs, Paul VI lui-même, au soir de sa vie, a confessé son amour indéfectible pour l’Église : « Je prie le Seigneur de me faire la grâce de faire de ma mort prochaine un don d’amour à l’Église. Je peux dire que je l’ai toujours aimée, et je sens que j’ai vécu ma vie pour elle et pour rien d’autre »*catholicnewsagency.com. Ces mots bouleversants de « l’homme en blanc », écrits dans son Pensiero alla morte quelques jours avant sa Pâque, révèlent bien l’intention profonde qui anima toutes ses actions, progressistes ou conservatrices aux yeux des hommes : un amour passionné pour l’Église du Christ, qu’il a servie corps et âme.
Héritage et vision d’avenir
Ironie de l’histoire, ce que certains qualifiaient jadis de « progressisme » chez Paul VI apparaît aujourd’hui comme une intuition prophétique pleinement assumée par l’Église. Le programme de Paul VI – un dialogue ouvert avec le monde, une Église pauvre au service des pauvres, une « civilisation de l’amour » à bâtir – semble repris presque mot pour mot par le pape François, son successeur, et compris plus en profondeur de nos joursfrance-catholique.fr. Ce n’est pas un hasard si François a choisi de canoniser Paul VI en même temps que Mgr Oscar Romero (un autre visionnaire de l’option pour les pauvres) en 2018. Lors d’une audience générale, le pape François a rendu hommage à saint Paul VI en le présentant comme « un pasteur brûlant d’amour pour le Christ, pour l’Église et pour l’humanité », et en invitant les fidèles à relire son exhortation Evangelii nuntiandi sur l’évangélisation, « toujours d’actualité »vaticannews.vavaticannews.va. Pour le Saint-Père, célébrer Paul VI n’est pas se tourner vers le passé, c’est au contraire puiser une inspiration pour l’avenir : « Que cet anniversaire (de sa fête) aide chacun à redécouvrir la joie d’être chrétien, en inspirant un engagement renouvelé pour construire la civilisation de l’amour », a-t-il souhaitévaticannews.va.
En définitive, la fête du 29 mai en l’honneur de saint Paul VI n’est pas la glorification d’un esprit partisan ou d’une tendance éphémère, mais la célébration d’un saint pasteur qui a su, dans une époque de transition, garder le cap de la tradition tout en faisant souffler un vent de Pentecôte sur l’Église. Honorer Paul VI, c’est rendre grâce pour l’héritage précieux qu’il nous a laissé : une Église plus ouverte sans être moins fidèle, plus universelle et missionnaire, dialoguant sans complexe avec tous les hommes de bonne volonté, et pourtant ancrée dans la prière, la liturgie et la continuité apostolique. Ceux qui le traitent de « progressiste » comme d’une injure réalisent peut-être mal que le véritable progrès, pour l’Église, consiste à marcher toujours plus fidèlement à la suite du Christ. C’est précisément ce qu’a fait Paul VI : il a avancé avec courage sur le chemin tracé par l’Évangile, portant la croix quand il le fallait, ouvrant des portes quand l’Esprit poussait à le faire. Voilà pourquoi l’Église le fête : non pour avoir été de tel ou tel camp, mais pour avoir été un serviteur fidèle et avisé, un artisan d’unité et un apôtre infatigable de Jésus-Christcatholicnewsagency.comcatholicnewsagency.com. En ce 29 mai, loin des polémiques stériles, réjouissons-nous donc de célébrer saint Paul VI – et demandons-lui d’intercéder pour que, à sa suite, nous travaillions nous aussi à « étendre la civilisation de l’amour »catholicnewsagency.com dans le monde actuel, dans la fidélité créative à l’Évangile et pour la gloire de Dieu.
Sources citées : Vatican News, Zenit, Catholic News Agency, Ecclesiam suam (Paul VI, 1964), Pensiero alla morte (Paul VI, 1978), discours du pape François (2024).fr.zenit.orgen.wikipedia.orgfrance-catholique.frvaticannews.vavatican.vavatican.vacatholicnewsagency.com et autres extraits référencés.
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