La Sola Scriptura à l’épreuve de la Septante et du Texte Massorétique

 

La Sola Scriptura à l’épreuve de la Septante et du Texte Massorétique



Les premiers chrétiens, y compris Jésus et les apôtres, citaient surtout la Septante, et non le texte massorétique fixé plus tard.
Les découvertes de Qumrân ont montré que cette traduction grecque reflétait bien des traditions hébraïques authentiques.
Dès lors, il devient clair que l’Écriture n’a jamais été seule, mais toujours transmise et interprétée dans la Tradition apostolique.


Une question honnête sur nos Bibles

En tant que chrétiens protestants attachés à l’autorité de la Bible seule (Sola Scriptura), nous présupposons souvent que le texte biblique que nous lisons aujourd’hui est rigoureusement le même que celui qu’utilisaient Jésus et les apôtres. Mais est-ce si évident ? Par exemple, lorsque le Nouveau Testament cite l’Ancien Testament, avez-vous déjà remarqué que la citation ne correspond pas toujours mot pour mot à ce que vous lisez dans votre Ancien Testament actuelevangile21.thegospelcoalition.orgevangile21.thegospelcoalition.org ? Ces décalages intrigants invitent à se poser une question fraternelle : et si la Bible des premiers chrétiens différait légèrement de la nôtre sur certains points de détail ? Sans aucune accusation et avec un esprit fraternel, explorons pas à pas ce sujet sensible. L’objectif n’est pas de mettre en défaut la Parole de Dieu, mais de réfléchir pédagogiquement aux chemins par lesquels cette Parole nous est parvenue – et aux implications pour notre doctrine de la Scripture seule.

Septante vs. Texte massorétique : deux traditions textuelles

Pour comprendre le problème, il faut d’abord savoir que deux grandes versions de l’Ancien Testament coexistent dans l’histoire du christianisme : la Septante et le texte massorétique. La Septante (souvent abrégée « LXX ») est la traduction grecque de la Bible hébraïque réalisée entre le III^e siècle av. J.-C. et le I^er siècle av. J.-C., largement diffusée à l’époque de Jésuscathobiblique.wordpress.com. Le texte massorétique (TM), lui, est la forme hébraïque standardisée de l’Ancien Testament, transmise par les scribes juifs appelés massorètes (entre le VI^e et le X^e siècle apr. J.-C.). Or, la Septante et le texte massorétique ne sont pas parfaitement identiques : elles présentent des écarts de vocabulaire, de longueur et même de sens dans certains versets clésfr.aleteia.orgfr.aleteia.org.

Ces différences ne sont pas forcément d’origine polémique ou accidentelle : souvent, elles reflètent l’existence de plusieurs versions hébraïques anciennes. En effet, dès avant l’ère chrétienne, le judaïsme ne disposait pas encore d’un texte hébreu uniformisé à 100%. Par conséquent, la Septante peut contenir des rendus basés sur une variante hébraïque disparue que le texte massorétique, fixé plus tard, n’a pas retenuecathobiblique.wordpress.com. Ce point est crucial pour notre étude, car il signifie qu’il a existé plusieurs « textes originaux » de l’Ancien Testament en circulation.

Les apôtres et la Septante : la Bible des premiers chrétiens

Il se trouve que les premiers chrétiens, y compris Jésus et les apôtres, citaient généralement l’Ancien Testament selon la Septante grecque. Le Nouveau Testament contient environ 300 citations ou allusions à l’Ancien Testament, et la grande majorité correspondent à la version de la Septante, pas au texte hébreu massorétique tel qu’établi plus tardcathobiblique.wordpress.com. Par exemple, l’Évangile de Matthieu cite Ésaïe 7,14 en ces termes : « Voici, la vierge sera enceinte… » (Matthieu 1,23). Matthieu emploie ici le mot grec parthenos (vierge), emprunté à la Septante, alors que le texte hébreu d’Ésaïe 7,14 utilise le terme ‘almah signifiant jeune femmeevangile21.thegospelcoalition.org. Il est frappant de constater que Matthieu s’aligne sur la Septante, qui explicite la prophétie messianique par « vierge », conforme à l’interprétation chrétienne, plutôt que de citer strictement le terme plus ambigu du texte hébreuevangile21.thegospelcoalition.org.

D’autres exemples abondent. L’auteur de l’Épître aux Hébreux, écrivant en grec, cite l’Ancien Testament presque exclusivement selon la Septante. Hébreux 10,5, par exemple, attribue au Messie cette parole du Psaume 40 : « tu m’as formé un corps » – citation tirée de la Septante – alors que le Psaume 40,7 du texte massorétique disait « tu m’as creusé des oreilles ». De même, lorsque Jésus, sur la croix, s’écrie « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Matthieu 27,46), il cite le début du Psaume 22 tel qu’on le trouvait dans les traductions grecques en usage. Bref, la Septante était la “Bible” des premiers chrétiens, surtout pour annoncer l’Évangile dans le monde gréco-romain. Ce fait historique soulève une question : si nous, protestants du XXI^e siècle, fondons tout sur “l’Écriture seule”, ne devrions-nous pas nous assurer que notre Écriture correspond à celle que citaient les apôtres ?

La fixation tardive du texte massorétique dans le judaïsme rabbinique

Revenons un instant du côté juif. Comment s’est formé le texte massorétique sur lequel reposent nos traductions protestantes modernes ? Après le Christ, vers la fin du I^er siècle, le judaïsme rabbinique a ressenti le besoin d’établir fermement ses Écritures face à la jeune foi chrétienne. Historiquement, la Septante grecque était vénérée et utilisée par les Juifs hellénophones depuis des siècles ; mais lorsque les chrétiens ont commencé à s’en servir pour prouver que Jésus est le Messie, les autorités juives y ont vu un problèmecathobiblique.wordpress.com. Vers l’an 90 apr. J.-C., à Jamnia (Yabné), des rabbins sous l’égide de Yohanan ben Zakkaï auraient décidé de rejeter la Septante et de promouvoir une nouvelle traduction grecque plus conforme à leur texte hébreucathobiblique.wordpress.com (on sait qu’un érudit juif du nom d’Aquila produisit justement une traduction grecque très littérale au II^e siècle, supplantant la LXX dans les synagogues). Par la même occasion, le canon des Écritures hébraïques fut délimité plus strictement, excluant les livres que nous appelons deutérocanoniques – déjà présents, eux, dans la LXX utilisée par les chrétiens.

Ainsi, le judaïsme rabbinique a progressivement fixé son texte biblique hébreu, aboutissant au texte massorétique que nous connaissons. Ce texte massorétique se distingue de la Septante sur de nombreux détails. Important à noter : cela ne veut pas dire que l’un est « vrai » et l’autre « faux » ; cela signifie que le texte de l’Ancien Testament a une histoire complexe, avec des recensions parallèles. Les Réformateurs protestants, désireux de revenir aux “sources originales”, ont choisi de traduire l’Ancien Testament à partir du texte hébreu massorétique (plutôt que de la Septante ou de la Vulgate latine). Par conséquent, la plupart des Bibles protestantes aujourd’hui reflètent la tradition massorétique du judaïsme rabbinique – une édition du texte biblique fixée plusieurs décennies après l’époque des apôtres. Là encore, cela invite à la réflexion : avons-nous exactement la même « Scriptura » que les auteurs du Nouveau Testament ?

Qumrân : des manuscrits anciens qui éclairent le débat

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Une des grottes de Qumrân (Cisjordanie) où furent découverts à partir de 1947 de très anciens manuscrits bibliques. Ces documents offrent un instantané de l’état de la Bible hébraïque à l’époque de Jésus et illustrent la diversité textuelle de l’Ancien Testament.
La Providence a réservé une surprise aux chercheurs modernes. La découverte des manuscrits de la mer Morte, à Qumrân, en 1947, a bouleversé notre compréhension de la transmission du texte biblique. Parmi ces manuscrits vieux de plus de 2000 ans, on a retrouvé des fragments en hébreu et en grec de presque tous les livres de l’Ancien Testament. Or, ces documents révèlent que la version grecque de la Bible « la Septante » était acceptée comme texte biblique aux côtés des textes hébreux, et n’était donc pas un accident isolé ou une pure invention chrétiennefr.wikipedia.org. Mieux encore, certains fragments hébreux de Qumrân présentent exactement les lectures que l’on connaissait jusque-là par la Septante, mais qui avaient disparu du texte massorétique. Des passages jadis considérés comme des erreurs ou des amplifications de la LXX se trouvent confirmés par des supports hébreux plus anciens que le texte massorétiquefr.wikipedia.org.

En d’autres termes, Qumrân a prouvé que plusieurs formes du texte biblique coexistaient à l’aube de l’ère chrétienne, et que la Septante repose souvent sur une authentique tradition hébraïque alternative. Ce fait nous encourage, en tant que croyants, à ne pas avoir une vision trop rigide de “l’original” de l’Ancien Testament : le texte sacré a connu un processus de transmission, sous le regard de Dieu, certes, mais impliquant le peuple de Dieu et ses choix – qu’il s’agisse du peuple juif définissant son texte, ou de l’Église primitive reconnaissant la Septante.

Trois exemples de versets qui diffèrent

Concrètement, qu’est-ce que tout cela change à la lecture de la Bible ? Examinons quelques exemples célèbres de divergences entre la Septante (LXX) qu’utilisaient les premiers chrétiens et le texte massorétique (TM) sur lequel repose notre Ancien Testament moderne :

  • Ésaïe 7,14 – La prophétie de la vierge : Dans le TM hébreu, Ésaïe annonce qu’une “jeune femme” (‘almah) concevra un fils nommé Emmanuel. La Septante, plusieurs siècles avant Jésus, a traduit ce mot par parthenos, c’est-à-dire “vierge”. Le Nouveau Testament, en Matthieu 1,23, reprend explicitement “la vierge sera enceinte”, en accord avec la Septanteevangile21.thegospelcoalition.org. Question : pourquoi Matthieu, inspiré par l’Esprit, emploie-t-il le mot “vierge” ? Se pourrait-il que la Septante conserve ici le sens voulu par Dieu, éclairant d’avance le miracle de Noël ? La divergence entre “jeune femme” et “vierge” nous montre en tout cas que l’interprétation prophétique messianique dépend d’une tradition textuelle – celle qu’avaient les apôtres.

  • Psaume 22,17 (ou 22,16 selon la numérotation)“Ils ont percé mes mains et mes pieds” : Ce verset du Psaume 22 est emblématique, car les chrétiens y lisent une annonce de la crucifixion. Dans le texte massorétique, toutefois, on lit littéralement “comme un lion, mes mains et mes pieds”, tournure étrange sans verbe. La Septante, elle, traduit par “they dug my hands and feet” – qu’on peut rendre par “ils ont percé mes mains et mes pieds”en.wikipedia.org. Faut-il y voir une liberté prise par les traducteurs grecs ? En 1947, on a retrouvé à Qumrân un fragment du Psaume 22 en hébreu datant d’avant Jésus contenant justement le verbe “ils ont percé” (כארו) au lieu de “comme un lion” (כארי)en.wikipedia.org. Ce plus ancien manuscrit connu du psaume suggère fortement que “ils ont percé” est la leçon originaleen.wikipedia.org. Jerome, dans sa Vulgate latine, avait d’ailleurs conservé cette lectureen.wikipedia.org. Question : si ce détail du Psaume messianique a été ombré dans la tradition massorétique mais préservé ailleurs, cela nous invite-t-il à élargir notre confiance au-delà d’une seule version ?

  • Deutéronome 32,43 – Les anges adorant Dieu : Ce verset du Cantique de Moïse clôt le Deutéronome. Le texte massorétique en comporte quatre lignes, mais aucune ne ressemble à “Que tous les anges de Dieu se prosternent devant Lui”. Pourtant, la Septante ajoute précisément cette acclamation : “Réjouissez-vous, cieux, avec Lui, et que tous les anges de Dieu l’adorent”. Or, le Nouveau Testament cite cette ligne : Hébreux 1,6 déclare au sujet du Christ : “Que tous les anges de Dieu l’adorent”, en présentant cela comme une parole de l’Écriture. Fait remarquable, un manuscrit découvert parmi les rouleaux de Qumrân (fragment 4Q44) a confirmé qu’en hébreu aussi existait cette ligne supplémentaire, alignée sur la LXX, parlant des “fils de Dieu” se prosternantevangile21.thegospelcoalition.org. Le rédacteur de l’Épître aux Hébreux ne suit donc pas le texte massorétique ici, mais bien une forme du texte sacré attestée dans la Septante et à Qumrânevangile21.thegospelcoalition.org. Les spécialistes estiment même que le mot “anges” dans la LXX correspond mieux au contexte d’Hébreux 1 que la variante “fils de Dieu”evangile21.thegospelcoalition.org. Question : si notre version courante du Deutéronome a “perdu” une phrase que le Nouveau Testament cite comme Parole de Dieu, cela ne doit-il pas nous interpeller sur la complétude du seul texte massorétique ? Faut-il la réintégrer, sur base des autres témoins textuelsevangile21.thegospelcoalition.org ?

Ces exemples – la prophétie d’Ésaïe, le psaume de la crucifixion, le cantique de Moïse – montrent que les premières générations chrétiennes lisaient certaines passages de l’Ancien Testament dans une forme un peu différente de la nôtre. Rien de tout cela ne doit ébranler notre foi en l’inspiration divine des Écritures : au contraire, on peut y voir la richesse de la révélation de Dieu, semée dans l’histoire et transmise par son peuple. Toutefois, pour nous qui proclamons Sola Scriptura, il y a là un appel à l’humilité. L’autorité suprême de la Bible n’implique pas qu’elle soit tombée du ciel sous une forme unique et figée ; Dieu a voulu passer par l’incarnation dans des textes, des langues, des copies, avec les aléas et les choix que cela suppose.

Quelle « Scriptura » ? Vers une Tradition comme cadre de l’Écriture

Tout cela nous amène à une réflexion finale, ouverte plutôt qu’assénée comme une leçon. Si « l’Écriture seule » est notre règle de foi, encore faut-il s’entendre sur ce qu’est cette Écriture dans sa plénitude. Est-ce uniquement le texte massorétique hébreu établi par les rabbins, ou bien inclut-elle l’usage qu’en faisaient Jésus et les apôtres à partir de la Septante ? Quand le Nouveau Testament cite une version différente, quelle version a autorité ? Autrement dit, avons-nous besoin d’un cadre pour discerner le vrai texte et la vraie interprétation de l’Écriture ? Les Réformateurs affirmaient que l’Écriture s’interprète elle-même. Certes – mais l’exemple d’Hébreux 1,6 nous montre qu’elle peut s’éclairer elle-même à travers une autre forme textuelle (la LXX) que celle que nous avons dans nos Bibles courantes. Cela ne suggère-t-il pas que la Tradition apostolique – c’est-à-dire la manière dont les apôtres ont reçu, utilisé et transmis l’Ancien Testament – fait partie du cadre dans lequel l’Écriture se comprend correctement ? evangile21.thegospelcoalition.org

En posant ces questions, nous ne cherchons pas à diminuer la Bible, bien au contraire. Nous nous demandons plutôt comment Dieu veut que nous la lisions. Le fait que Jésus et les auteurs inspirés du Nouveau Testament se soient principalement appuyés sur la Septante (une traduction déjà, avec ses particularités) est en soi éclairant. Cela indique que Dieu a fait confiance à l’Église naissante pour transmettre fidèlement sa Parole, même à travers une version grecque et au milieu de variantes textuelles. Ce constat peut ouvrir notre horizon : et si la Bible n’avait jamais été donnée pour flotter seule, en dehors de la communauté de foi qui la porte ? Et si la Sola Scriptura elle-même présupposait une Tradition vivante qui a veillé sur l’Écriture, décidé quels livres sont canoniques, et même quelles variantes textuelles transmettre ?

Je vous laisse avec cette réflexion, cher frère ou chère sœur en Christ, sans conclure de façon fermée mais en ouvrant un chemin. Peut-être qu’une redécouverte de la Tradition apostolique – non pas comme une autorité au-dessus de l’Écriture, mais comme le berceau dans lequel l’Écriture a été placée – pourrait fortifier notre foi. C’est une invitation à approfondir, Bible en main, avec l’aide de l’Esprit, l’histoire fascinante de la Parole de Dieu. Après tout, si la Parole s’est faite chair en Jésus, elle s’est aussi faite histoire dans l’Église. Est-il possible que Dieu nous appelle à écouter l’Écriture dans le concert de la Tradition, afin d’en saisir toute la vérité ? Cette question demeure ouverte – et précieuse – sur notre chemin de foi. evangile21.thegospelcoalition.org

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