Le trône de Pierre contre la poussière des siècles
Le trône de Pierre contre la poussière des siècles
Lorsqu’on se penche avec une rigueur froide sur les origines de l’Église, on fait une découverte qui donne le vertige : nous ne possédons aucun original. Ni les conciles, ni les écrits des Pères, ni même les saintes Écritures ne nous sont parvenus dans leur autographe. De Nicée à Chalcédoine, de Carthage à Tolède, tout ce que nous lisons aujourd’hui vient de copies faites par des mains humaines, parfois des siècles plus tard. Les conciles antiques, que nous présentons comme le fondement de l’orthodoxie chrétienne, ne nous sont connus que par des manuscrits byzantins ou latins qui sentent la poussière des bibliothèques, des compilations tardives, des traductions divergentes. Et la Bible elle-même, Parole de Dieu, nous est donnée à travers des fragments de papyrus et des codex du IVᵉ siècle, témoins indirects de l’original disparu.
Si l’on s’arrêtait à ce constat, la foi chrétienne semblerait bâtie sur du sable. Tout pourrait être suspecté : les interpolations des copistes, les falsifications volontaires, les pertes et les altérations. Des érudits comme Jean Hardouin n’avaient pas manqué de s’en apercevoir : ils ont crié au faux, dénoncé les illusions d’une histoire qui repose sur des parchemins rongés par les vers et des traditions fragiles comme le souffle du vent. Et leur cri, exagéré sans doute, mais lucide dans sa base, reste une gifle à nos certitudes trop faciles. Car, en vérité, nous n’avons rien de matériellement indubitable.
Et pourtant, l’Église demeure. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas fondée sur du papier mais sur une voix. Le Christ n’a pas confié son Évangile à des archivistes, mais à des apôtres. Il n’a pas dit à Pierre : « Garde mes manuscrits », mais : « Pais mes brebis. » La foi n’est pas la répétition mécanique de lettres mortes, mais la transmission vivante d’une parole qui s’incarne, de génération en génération, dans une succession d’hommes qui se lèvent et qui parlent au nom du Christ. L’Écriture est sainte non pas parce qu’elle aurait miraculeusement préservé ses autographes, mais parce que l’Église l’a reçue et reconnue comme inspirée. Les conciles sont œcuméniques non pas parce que nous aurions conservé leurs signatures en bon état, mais parce qu’ils ont été ratifiés par le successeur de Pierre.
Ainsi, lorsque tout vacille, lorsque les textes tremblent sous la critique, une certitude demeure : la papauté. Là est l’indubitable, l’incontestable, le roc. On peut douter des manuscrits, mais on ne peut pas douter qu’il y a eu un Léon, un Grégoire, un Innocent, un Pie, un Jean-Paul, un François. On peut contester l’authenticité d’un canon, mais on ne peut contester la continuité visible et charnelle d’une lignée d’hommes assis sur la même chaire, occupant le même siège depuis vingt siècles. Même les schismes et les antipapes, loin de fragiliser cette certitude, la confirment : car si tant d’hommes ont disputé un trône, c’est bien que ce trône existait.
La papauté est donc la seule chose absolument certaine, non pas au sens des archivistes, mais au sens théologique et historique. Elle est cette chaîne ininterrompue qui relie Simon-Pierre au pape actuel, ce fil rouge qui traverse les siècles et que rien n’a pu rompre, ni les invasions, ni les hérésies, ni les révolutions. Les conciles sont précieux, mais fragiles ; les Écritures sont inspirées, mais transmises par des copies ; seule la papauté se dresse comme un monument de chair et de sang, indestructible, inattaquable dans sa continuité.
Qu’on brûle les bibliothèques, qu’on perde tous les manuscrits, qu’on efface les archives : tant qu’il restera un vieillard vêtu de blanc assis sur la tombe de Pierre, l’Église sera encore entière, parce que le Christ a bâti son Église non pas sur l’encre des scribes, mais sur la pierre d’un homme. Voilà pourquoi, au milieu de toutes les incertitudes, la papauté est la seule certitude.


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